J'ai toujours détesté me retrouver dans des situations ou entre amis, chacun partage une anecdote sur comment un parent les corrigeait pour une bêtise d'enfance. ça ne m'a jamais fait rire, je n'ai jamais trouvé normal d’être traumatisé à la vue d'une ceinture en cuir.
La banalisation de la violence au sein des foyers afro-descendants m’inquiète.
Des adultes peuvent raconter sans gêne comment ils ont violenté ou humilié leur enfant devant d'autres adultes et personne ne va broncher? Alors pourquoi ces mêmes gens seraient-ils choqués quand la violence passe d'adulte à adulte?
Je me rappelle avoir eu froid dans le dos il y a une dizaine d'années en entendant une interview de Fally Ipupa à qui on demandait "Pour ou contre frapper sa femme?" et de l'entendre justifier fièrement "Si elle s'éloigne du droit chemin, oui." on en est donc réduite à ça? L’interprétation du "femmes, soyez soumises" dans nos communautés nous a reléguée au même rang qu'une enfant dans la hiérarchie familiale. Nullement décisionnaire dans les choix de la vie de famille. Si telle est sa place, elle aussi, doit être éduquée, elle aussi, doit être corrigée quand elle faute.
J'en ai discuté avec mes sœurs et s'en est suivi une longue liste de "Ben c'est pareil chez Tantine Machin, Tonton Untel la battait tellement", "Tu te rappelles le jour où on est arrivées chez les X et Tantine avait le visage gonflé?" et une en particulier qui me glace le sang jusqu’à aujourd'hui, "cette fois, il allait me tuer" chuchotait une tante à ma mère dans la cuisine; on était venus chez eux sans prévenir et du haut de mes 6 ans je me rappelle juste qu'on avait attendu très longuement devant la porte d’entrée avant que quelqu'un ne vienne nous ouvrir. Ma mère m'avouera plus tard n'avoir jamais réagi à cette situation. Elle se rappelle uniquement de mon père ayant conversé d'homme à homme avant de convaincre l’épouse de rester avec son agresseur. "En général, on dit kanga motema (traduisez: ferme ton cœur, pour dire tiens le coup) et on passe à autre chose" conclura ma mère. Une souffrance passée sous silence comme si c’était l'unique clé d'un mariage réussi et pérenne.
Alors comment doit-on réagir face aux violences? On rêve toutes d'attraper une batte de Baseball et dégommer les genoux de l'enfoiré en question, mais ça ne porte pas toujours ses fruits. Il s'agit d'une bataille sur le long terme qu'on tente de gagner. Briser définitivement un lien nocif, tel est l'objectif. Selon le degré d'implication dans lequel on se trouve on peut toujours faire quelque chose.
Dans la rue/Dans votre voisinage Je me souviens avoir croisé un couple dans la rue qui se disputait, un homme insultait une femme de tous les noms alors qu'elle sanglotait et tentait de s'éloigner de lui. J'ai couru vers elle en lui demandant si elle avait besoin d'aide et elle m'a supplié de la laisser tranquille alors que l'homme hurlait de plus belle sur elle et désormais sur moi. Je suis restée en retrait un instant pour observer si les choses allaient escalader et elle continua de me faire signe de m'en aller. Je respectais son choix à contre-cœur. Je sais que d'autres ont déjà vécues la même situation et se sont fait cognés en retour mais je ne peux m’empêcher de penser que si j’étais à la place de cette femme, je voudrais qu'on m'aide.
Dans l'entourage proche
J'ai appris qu'une cousine se séparait de son époux parce qu'il la battait. Des violences qui ont commencées bien avant le mariage et qui ont duré pendant près de 10 ans de concubinage. Avec le recul, j'ai voulu lui demander si elle avait déjà envisagé la séparation et si oui, pourquoi elle était restée. Sa réponse: "La première fois a été un énorme choc. Il s'est excusé et je l'ai cru, j'ai cru qu'il changerait et il ne l'a jamais fait. je ne comprends toujours pas comment il est parvenu à totalement m'isoler des proches qui étaient en capacité de m'aider. J’étais abusé physiquement, mentalement et émotionnellement. Pour ma part, je savais que le mariage était tellement glorifié dans ma famille que je voulais tout faire pour qu'il tienne et ne pas être une mère divorcée. J'ai perdu l'essence de ma personne au fil des années. J'ai du impliquer la police pour y mettre un terme définitif. Et contrairement à ce qu'il me répétait chaque jour, toutes les personnes a qui j'ai demandé de l'aide ont répondu a l'appel. Je suis psychologiquement détruite et je sais qu'il me faudra de nombreuses années pour me remettre totalement sur pied."
Ne pas blâmer la victime
ça n'a jamais rien apporté de positif. ça ne crée aucun déclic chez la victime, juste un sentiment de solitude renforcé. "mais pourquoi elle reste elle aussi? Elle se respecte pas..." Cela fait partie de la misogynie intériorisée dont on peut tous parfois faire preuve. Il faut comprendre que ces violences relèvent de l'emprise mentale et c'est pour ça que même quand rien ne semble empêcher physiquement quelqu'un de fuir, la personne reste. Il s'agit d'aborder la situation avec tact car vous avez affaire à une personne fragile qui se sent totalement isolée, parfois vous avez affaire à une personne qui a essayé de fuir, de prendre des mesures mais qui a été abandonnée par le système. Croire une victime et faire preuve d'une présence sans faille est crucial dans ce processus.
Il y a tellement d'actions à mettre en place pour que nous ne soyons ni des autrices de violences, ni des victimes, ni des témoins passifs. Je pense principalement à questionner notre perception des hommes et l'haute estime injustifiée qu'on leur accorde.
Deuxièmement, à repositionner le mariage, Ce n'est pas la seule chose qui apportera l'honneur et la gloire sur votre famille.
Quand s’alarmer?
Si votre amie semble radicalement changer d'attitude depuis qu'elle est avec son compagnon et s'isole de plus en plus, restez à l’affût. Elle est émotionnelle et plus vous posez de questions, plus elle se replie sur elle-même. C'est le moment de s’inquiéter. Même si vous peinez à tirer des aveux clairs, l'essentiel est de maintenir un lien stable et solide pour qu'elle sache qu'elle n'est jamais seule. C'est une lueur d'espoir qui permet d'aller au bout des démarches de séparation. Car la séparation est la seule solution. S'il la fait une fois, soyez sures qu'il recommencera.
Je dédie cet article à ma voisine de palier de 2014, je m'en veux chaque jour de ne pas être intervenue pour toi, j’espère que tu es en sécurité aujourd'hui, je te demande pardon...
Cœur sur vous <3
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